Aequitas et Praedatio
Les Six Livres de la République — Aequitas et Praedatio

Les Six Livres de la République

Œuvre majeure de Jean Bodin sur la théorie de la souveraineté et l'organisation de l'État moderne, fondatrice de la science politique moderne.

Œuvre fondatrice de la science politique moderne, Les Six Livres de la République de Jean Bodin constitue un tournant décisif dans la pensée politique occidentale. Publiée en 1576, cette somme théorique établit les fondements conceptuels de la souveraineté moderne et de l’organisation étatique.

Notes de lecture (Editions Myriel, 2017)

Chapitre 1 : Quelle est la fin principale de la République bien ordonnée

Chapitre 2 : Du ménage, et de la différence entre la République et la famille

Mais on dira peut-être que trois corps et collèges, ou plusieurs particuliers sans famille, peuvent aussi bien composer une République, s’ils sont gouvernés avec puissance souveraine ; il y a bien apparence, et toutefois ce n’est point République, vu que tout corps et collège s’anéantit de soi-même, s’il n’est réparé par les familles.

p.24 : Mais outre la souveraineté, il faut qu’il y ait quelque chose de commun, et de public : comme le domaine public, le trésor public, le pourpris de la cité, les rues, les murailles, les places, les temples, les marchés, les usages, les lois, les coutumes, la justice, les loyers, les peines, et autres choses semblables, qui sont ou communes, ou publiques, ou l’un et l’autre ensemble, car ce n’est pas la République s’il n’y a rien de public.

p.24 : Mais en quelque sorte qu’on divise les terres, il ne se peut faire que tous les biens soient communs, comme Platon voulait en sa première République, jusqu’aux femmmes et enfants, à la fin de bannir de sa cité ces deux mots TIEN et MIEN, qui étaient, à son avis, cause de tous les maux et ruines qui adviennent aux Républiques.

Chapitre 3 : De la puissance maritale, et s’il est expédient de renouveler la loi de répudiation

p.27 : Nous appelons liberté naturelle de n’être sujet, après Dieu, à homme vivant, et ne souffrir autre commandement que de soi-même : c’est-à-dire, de la raison, qui est toujours conforme à la volonté de Dieu.

p.28 : […] Et la raison est, parce que le ménage ne souffre qu’un chef, qu’un maître, qu’un seigneur ; autrement, s’il y avait plusieurs chefs, les commandements seraient contraires, et la famille en trouble perpétuel.

p.28 : Or, tout ainsi qu’il n’y a rien plus grand en ce monde, comme dit Euripide, ni plus nécessaire pour la conservation des Républiques, que l’obéissance de la femme au mari, […].

Chapitre 4 : De la puissance paternelle, et s’il est bon d’en user comme les anciens Romains.

p.31 : Aussi Platon ayant en premier lieu articulé les lois qui touchent l’honneur de Dieu, il dit que c’est une préface de la révérence que l’enfant doit au père, duquel après Dieu, il tient la vie, et tout ce qu’il peut avoir en ce monde.

Chapitre 5 : De la puissance seigneuriale, et s’il faut souffrir les esclaves en la République bien ordonnée

Explications de texte GPT

Chapitre 1 : Quelle est la fin principale de la République bien ordonnée

1. Le but du chapitre

Bodin cherche à définir ce qu’est une “République bien ordonnée” et surtout quelle est sa fin principale (c’est-à-dire son but ultime). Comme il le dit : sans une bonne définition de la fin, tout l’édifice politique s’écroule.

2. La définition de la République

Bodin propose :

« République est un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine. »

  • “Droit gouvernement” : Bodin insiste sur le fait que la République n’est pas une bande de brigands. Les associations criminelles (pirates, voleurs) ne peuvent pas être appelées Républiques, car elles reposent sur l’injustice.
  • “Plusieurs ménages” : La République n’est pas un individu isolé, ni seulement une famille, mais une pluralité de familles.
  • “Ce qui leur est commun” : Elle gère les biens et intérêts communs.
  • “Puissance souveraine” : Le cœur de la définition. Sans souveraineté, pas de République. C’est elle qui distingue l’État d’autres formes d’associations.

3. La fin de la République

Bodin discute des définitions antiques (Cicéron, Aristote, etc.) qui disaient que la République vise une “vie heureuse”. Il nuance :

  • La prospérité matérielle (richesses, succès militaires, puissance) n’est pas le critère. Une République peut être vertueuse et pourtant pauvre ou malchanceuse.
  • À l’inverse, une République riche et victorieuse peut être corrompue et injuste.

La vraie fin d’une République bien ordonnée, selon Bodin, est :

  • La recherche de la vertu (morale et intellectuelle).
  • La contemplation des choses humaines, naturelles et divines.
  • En somme : élever les citoyens à la sagesse et à la connaissance, en rapportant tout à Dieu, l’“auteur du chef-d’œuvre”.

4. Le chemin vers cette fin

Bodin explique que, comme pour un homme :

  • Les besoins matériels doivent d’abord être assurés (subsistance, santé, sécurité, défense).
  • Puis on peut viser plus haut : la vertu, la science, la contemplation.

Ainsi, la République doit progressivement élever ses citoyens, du nécessaire vers le spirituel.

5. Comparaisons et critiques

  • Il critique Platon et Thomas More : leurs Républiques idéales sont trop abstraites, impossibles à réaliser. Bodin veut rester dans le réalisme politique.
  • Il reconnaît néanmoins que, comme un médecin ou un pilote de navire, même si l’on n’atteint pas parfaitement le but, l’essentiel est d’avoir cherché à bien gouverner.

6. Contexte intellectuel

  • Bodin s’appuie sur Aristote (Éthique à Nicomaque, Politique) et Cicéron (De republica, De legibus).
  • Il se situe à la charnière de la Renaissance et de la modernité : il fonde une science politique réaliste, mais garde un idéal moral et religieux (la contemplation de Dieu comme fin ultime).
  • Contrairement à Machiavel (qui liait la fin de l’État à la puissance et à la conservation du pouvoir), Bodin met en avant la justice et la vertu.

En résumé : Ce chapitre pose que la République n’est pas une simple association d’intérêt, encore moins une bande criminelle. Elle est une communauté politique unie sous une souveraineté légitime, dont la fin n’est pas la richesse ou la puissance, mais la vertu et la contemplation de la vérité et de Dieu.

Chapitre 2 : Du ménage, et de la différence entre la République et la famille

Voici l’idée centrale de ce chapitre II : Bodin distingue nettement la “République” (ordre public) de la “famille/ménage” (ordre domestique), tout en montrant que la seconde est la source et le modèle de la première — mais pas la même chose.

Ce que Bodin affirme, en clair

  • Définition du ménage (famille) « Ménage est un droit gouvernement de plusieurs sujets, sous l’obéissance d’un chef de famille, et de ce qui lui est propre. » → Le ménage relève du privé : il porte sur des personnes (les “siens”) et des biens propres administrés par le chef de famille. C’est l’“économie domestique”. (Wikisource)

  • La famille, “source et origine” de la République La République est faite de plusieurs ménages : “bâtir une ville sans maisons” serait absurde. La bonne conduite des familles est la condition d’un bon État (la maison bien gouvernée est l’image de la République). (Wikisource)

  • Seuils minimaux et comptage (raisonnement juridique) Bodin applique une logique de droit : • Un collège exige au moins trois personnes ; • Une famille complète comprend au moins cinq personnes (chef + épouse + au moins trois autres : enfants/serviteurs/esclaves/affranchis) ; • Donc, une République exige au moins trois ménages (≈ 3×5). Il évoque même l’usage antique de dire qu’un “peuple” peut se réduire à quinze personnes. → Idée forte : la taille n’est pas constitutive : un très petit corps politique peut être une République s’il possède l’élément décisif : la souveraineté. (Wikisource)

  • Différence fondamentale entre famille et RépubliqueFamille : gouvernement de ce qui est propre (biens particuliers) sous un chef domestique. • République : gouvernement de plusieurs familles et de ce qui leur est commun, sous une puissance souveraine (le lien juridique qui unit et fait du tout un corpus publicum). Sans souveraineté, il n’y a plus République — comme un navire sans quille n’est plus un vaisseau. (Wikisource)

  • Le “public” est indispensable Une République exige des choses publiques (domaine, trésor, rues, murailles, temples, marchés, lois, coutumes, justice, peines, etc.). S’il n’y a rien de public, ce n’est pas une République. (Wikisource)

  • Contre la communauté intégrale des biens (critique de Platon I) Bodin refuse l’utopie d’une communauté absolue (biens, femmes, enfants) :

    1. logique : s’il n’y a rien de propre, il n’y a plus rien de commun (le public suppose des particuliers) ;
    2. juridico-moral : elle contredit la loi divine et naturelle (interdits d’inceste, d’adultère, de rapt, etc.). Il note que Platon lui-même a ultérieurement renoncé à sa première République “communiste”. (Wikisource)
  • Petit ≠ moindre : la souveraineté égalise Une toute petite seigneurie comme Raguse (Dubrovnik) est pleinement une République, tout comme de vastes empires (Turcs, Tartares), dès lors que la souveraineté y est une et effective. Il réfute ainsi l’idée d’Aristote limitant la cité à ~10 000 citoyens : Rome a été République avec 3 000 citoyens… puis sous Tibère on en compte des millions ; la quantité ne fonde pas la nature politique. (Wikisource)

  • Exemple historique : la part du commun et du propre à Rome Bodin rappelle le partage du territoire par Romulus (sacrifices/domaine public/particuliers) et l’exemple de Cincinnatus n’ayant que deux iugera (journaux) : preuve qu’on peut combiner biens publics et biens privés sans abolir ni l’un ni l’autre. (Wikisource)

La thèse, en une phrase

La famille et l’État sont analogues (la maison modèle la République), mais différents par leur fin et leur assiette juridique : la famille gouverne le “propre” sous un chef domestique ; la République gouverne le “commun” de plusieurs familles, unies par la souveraineté — sans quoi il n’y a pas de République. (Wikisource)

Pourquoi c’est important pour Bodin

Ce chapitre prépare la suite : Bodin veut fonder une science politique réaliste. D’un côté, il arrime l’État à la société réelle (les familles, le privé) ; de l’autre, il érige la souveraineté en principe juridique suprême qui distingue l’État de toute autre association (collège, corporation, grande maison, bande, etc.). La République n’est ni une simple somme de foyers ni une communauté fusionnelle : c’est l’union publique de plusieurs ménages par la souveraineté et autour de choses communes. (Wikipédia)

Chapitre 3 : De la puissance maritale, et s’il est expédient de renouveler la loi de répudiation

Voici l’essentiel de ce chapitre III, où Bodin traite de la “puissance maritale” (l’autorité juridique du mari sur l’épouse) et pose la question “faut-il renouveler la loi de répudiation ?” (le renvoi unilatéral de l’épouse) :

Ce que Bodin établit

1) Dans toute société, il y a commandement et obéissance. Bodin commence par une typologie des pouvoirs : publics (souverain/magistrats) et privés (chefs de famille, corporations). Au foyer, il distingue quatre rapports d’autorité : du mari sur l’épouse, du père sur les enfants, du seigneur sur les esclaves, du maître sur les serviteurs. Cette “police domestique” est, pour lui, la base de l’ordre politique. (Wikisource)

2) Quand s’applique la “puissance maritale” ?

  • Le fiancé n’a aucun pouvoir sur la fiancée ; un rapt de la fiancée est un crime capital.
  • La puissance maritale n’existe qu’après consommation du mariage et cohabitation (“la femme a suivi le mari”).
  • Si le mari est esclave ou enfant de famille (sous la puissance de son propre père), il n’a pas d’autorité sur sa femme : “un ménage ne souffre qu’un chef”. (Wikisource)

3) L’épouse doit obéissance au mari — avec bornes. Bodin affirme qu’“hors la puissance paternelle, toutes les lois divines et humaines sont d’accord […] que la femme doit obéissance aux commandements du mari, s’ils ne sont illicites.” Il ajoute qu’abuser de cette puissance pour “faire une esclave” de sa femme est condamnable : la correction doit être modérée (il cite Varron, Homère). (Wikisource)

4) Histoire du droit : de la sévérité antique aux adoucissements. Il égrène des exemples (Romulus, droit romain, lois lombardes, coutumes grecques) où l’autorité maritale allait jusqu’au droit de vie et de mort (puis fortement restreint). Sous Justinien, les sanctions criminelles font place à des peines civiles/infamantes ; et Bodin rappelle que la séparation (pour mauvais traitements, adultère, tentative d’empoisonnement) peut être obtenue en justice. (Wikisource)

5) La question de la “répudiation”. Bodin rappelle une ancienne loi “de Dieu” (il vise ici la tradition mosaïque et des usages “en Afrique et en tout l’Orient”) permettant au mari de répudier sa femme “si elle ne lui plaisait”, à condition de ne jamais la reprendre — mais il souligne aussi combien l’amour conjugal peut se muer en haine capitale, d’où la gravité des dissolutions. Il oppose à la répudiation la voie judiciaire de la séparation pour causes graves. Le fil de l’argumentaire laisse clairement entendre qu’il ne plaide pas pour un rétablissement généralisé de la répudiation, mais pour un ordre domestique ferme et borné par la loi (et, pour les ruptures, par le juge). (Wikisource)

En une phrase

Pour Bodin, la République suppose des foyers ordonnés : le mari a une autorité domestique réelle mais limitée (pas d’arbitraire, pas d’“esclavage” de l’épouse) ; quant à la répudiation, il en rappelle l’existence dans d’anciens droits, mais n’en recommande pas la remise en vigueur, lui préférant des séparations juridiquement encadrées pour des motifs graves. (Wikisource)

Pourquoi c’est important dans son système

Bodin utilise le ménage comme miroir de l’État : un seul chef par maison, comme une souveraineté une pour la République ; l’abus de pouvoir domestique (comme l’excès de pouvoir politique) détruit l’ordre ; la loi borne et canalise l’autorité. Ce chapitre prépare ainsi ses développements sur la souveraineté : absolue en titre, mais tenue par le droit naturel et divin. (Encyclopédie de philosophie de Stanford)

Repères modernes (pour situer historiquement l’idée de “puissance maritale” en France)
  • La puissance maritale et l’incapacité de la femme mariée, inscrites dans le Code civil de 1804, ont été abolies par la loi du 18 février 1938 ; la loi du 13 juillet 1965 a ensuite permis à l’épouse d’ouvrir un compte et de travailler sans l’autorisation de son mari (réforme des régimes matrimoniaux). (Légifrance) Très bonne remarque : la petite phrase de Bodin — « comme dit Euripide » — n’est pas anodine. Elle remplit plusieurs fonctions à ce moment du chapitre III.

Explication de la référene à Euripide

1. L’arrière-plan : l’autorité maritale

Bodin est en train de démontrer que la République, comme toute société, repose sur commandement et obéissance. Pour lui, le ménage est la cellule de base de l’ordre politique. Donc, si l’épouse n’obéit pas à son mari, la famille se désagrège ; et si les familles se désagrègent, la République chancelle.

Il cherche alors des autorités anciennes pour étayer cette idée.

2. La référence à Euripide

Bodin écrit :

« Or, tout ainsi qu’il n’y a rien plus grand en ce monde, comme dit Euripide, ni plus nécessaire pour la conservation des Républiques, que l’obéissance de la femme au mari. » (Six Livres de la République, I, III).

Euripide (Ve s. av. J.-C.) est l’un des trois grands tragiques grecs (avec Eschyle et Sophocle). Ses pièces traitent souvent des rapports familiaux (Hécube, Andromaque, Médée, Les Troyennes, etc.), et beaucoup de ses héroïnes sont des figures de femmes rebelles, violentes, ou dominées.

Chez lui, une leçon récurrente est : quand les liens familiaux (entre époux, parents/enfants) sont brisés, c’est la cité entière qui sombre dans le désordre. Exemples :

  • Médée : la rupture conjugale engendre une vengeance qui détruit la maison de Jason.
  • Andromaque : la rivalité entre femmes et le conflit domestique résonnent sur le destin politique.

Bodin reprend donc à Euripide cette idée que la stabilité de la cité dépend de l’ordre conjugal.

3. La fonction rhétorique
  • Autorité classique : Bodin montre qu’il ne parle pas seulement en juriste ou en chrétien, mais qu’il s’appuie sur la sagesse antique. Citer Euripide, c’est convoquer une figure prestigieuse de la culture grecque.
  • Lien entre privé et public : Bodin veut démontrer que le gouvernement de la République est analogue au gouvernement du ménage. Euripide illustre que désordre conjugal = désordre civique.
  • Justification morale : l’obéissance de la femme n’est pas seulement une coutume locale ou religieuse, mais un principe universel reconnu depuis l’Antiquité.
4. Sources possibles

Bodin n’indique pas quelle pièce il cite, mais les philologues modernes rapprochent cette maxime de passages d’Euripide où il est question de l’ordre conjugal comme fondement du politique (notamment Andromaque v. 952-955, Hippolyte v. 616-622).

Un passage souvent évoqué est dans l’Andromaque, où le chœur souligne que la paix de la maison est vitale pour l’ordre de la cité.

En résumé : Bodin cite Euripide pour donner une autorité antique à sa thèse : la République ne se maintient que si, dans le ménage, la femme obéit au mari. Euripide, par ses tragédies, montrait que quand l’ordre conjugal se rompt, ce sont les fondements mêmes de la cité qui vacillent.

Chapitre 4 : De la puissance paternelle, et s’il est bon d’en user comme les anciens Romains.

Très bien, allons-y pas à pas. Le chapitre IV des Six Livres de la République traite de la puissance paternelle (patria potestas) et s’interroge sur son usage légitime. Bodin en profite pour mobiliser plusieurs références bibliques, philosophiques et historiques.

1. Le cœur du chapitre

  • Définition : La puissance paternelle est un droit de commandement du père sur ses enfants, que Bodin considère comme d’origine naturelle et divine.
  • Justification :
    • Seul le père reçoit de la nature (et non des hommes) une autorité légitime : il est « l’image du grand Dieu souverain, père universel » (Proclus, philosophe néoplatonicien).
    • Le rapport père/enfant est symétrique au rapport Dieu/humanité.
    • En échange, l’enfant a une dette infinie envers le père : obéissance, respect, soin, dissimulation de ses défauts, sacrifice de ses biens et même de sa vie au besoin.

2. Références et autorités convoquées

a) Sénèque

Bodin rappelle un passage où Sénèque énumère différents rapports d’autorité (prince/sujet, capitaine/soldat, père/enfant, etc.). Mais il ajoute que seul le père a une puissance fondée par nature (les autres sont d’institution humaine).

b) Proclus (Ve s., néoplatonicien)

Il avait désigné Dieu comme le « père universel de toutes choses ». Bodin s’appuie sur cette idée pour dire que le père terrestre est une image de Dieu.

c) Platon

Bodin note que Platon, dans ses Lois, place l’honneur dû aux parents juste après l’honneur dû à Dieu. → L’obéissance filiale devient donc une obligation religieuse et civique.

d) La Bible
  • Décalogue : le 5ᵉ commandement (« Honore ton père et ta mère ») est le seul avec promesse de récompense, ce qui souligne son poids.
  • Cham (Genèse 9, 20-27) : puni pour n’avoir pas couvert la nudité de son père Noé → exemple de malédiction paternelle.
  • La bénédiction/malédiction des pères : en Genèse, les fils recherchent ardemment la bénédiction du père (Jacob/Ésaü). Bodin y voit un signe de l’importance redoutable du pouvoir paternel.
e) Histoire romaine
  • Torquatus (fils du consul Manlius Torquatus) : chassé par son père, il se suicide de honte. Exemple tragique de la force morale de l’autorité paternelle.
  • Lex Pompeia de parricidiis : loi romaine sur le parricide (Ier s. av. J.-C.), qui prévoyait la peine atroce du poena cullei (être cousu vivant dans un sac avec des animaux et jeté à l’eau). Bodin la mentionne pour montrer que même des peines extrêmes ne suffisent pas à punir le meurtre du père ou de la mère.
f) Expérience contemporaine

Bodin évoque un cas de son époque où un parricide fut tenaillé, rompu et brûlé, mais où l’horreur du crime dépassait encore la sévérité de la peine.

3. La thèse de Bodin

  • La puissance paternelle est sacrée, naturelle et absolue dans son principe.
  • Les enfants doivent obéissance et respect en toutes choses licites.
  • L’ingratitude ou la violence envers les parents est l’un des crimes les plus graves de l’ordre humain.
  • Toutefois, Bodin commence aussi à poser la question (au titre du chapitre : “s’il est bon d’en user comme les anciens Romains”) : les Romains avaient accordé au père un pouvoir très étendu (jusqu’au droit de vie et de mort). Bodin s’apprête à discuter s’il faut maintenir une telle rigueur ou l’adoucir, comme l’ont fait les lois plus récentes.

4. Ce que cela signifie dans son système

  • La famille est le microcosme de la République.
  • Si l’autorité paternelle est forte et respectée, la République sera stable.
  • Si les enfants méprisent leurs parents, c’est l’ordre social entier qui s’effondre.
  • Ce chapitre, comme le précédent sur la puissance maritale, sert à établir une analogie entre l’ordre domestique et l’ordre politique. Le père est au ménage ce que le souverain est à l’État.

En résumé : Le chapitre IV affirme la légitimité naturelle et divine de l’autorité paternelle. Bodin s’appuie sur Sénèque, Proclus, Platon, la Bible, l’histoire romaine (Torquatus, Lex Pompeia), et même des exemples de son temps. Le père, image de Dieu, mérite obéissance et révérence absolues. Les crimes contre les parents sont jugés parmi les plus atroces, et la bénédiction ou malédiction paternelle a une puissance quasi sacrée.

Continuons avec la seconde partie du chapitre IV : Bodin s’interroge sur la question posée dans le titre : « S’il est bon d’user de la puissance paternelle comme les anciens Romains ».

1. La patria potestas romaine

Chez les Romains, le père avait un pouvoir absolu sur ses enfants (jus vitae necisque — droit de vie et de mort).

  • Il pouvait vendre ses enfants trois fois en esclavage (cf. loi des Douze Tables).
  • Il pouvait les punir sévèrement, jusqu’à la mort.
  • Cette puissance restait tant que le père vivait, même si le fils devenait magistrat ou consul.

Exemples célèbres :

  • Brutus fit exécuter ses fils pour trahison.
  • Manlius Torquatus fit décapiter son fils pour avoir combattu sans ordre.

2. La critique implicite de Bodin

Bodin, juriste humaniste, reconnaît la grandeur de l’autorité paternelle, mais il se demande s’il est bon de conserver une telle rigueur.

  • Il souligne que les lois plus récentes ont adouci ce pouvoir, en soumettant les crimes des enfants au jugement public et en protégeant les enfants contre l’arbitraire du père.
  • Déjà sous l’Empire romain, le droit de vie et de mort fut retiré au père, sauf dans certains cas.
  • Dans son temps (XVIe siècle), la puissance paternelle est encore forte (autorité morale, droit de corriger, pouvoir sur les biens et mariages), mais limitée par les juges.

3. Position de Bodin

Bodin ne recommande pas de revenir à la sévérité romaine.

  • Il admire la force du modèle antique, mais reconnaît que l’humanité chrétienne a imposé d’autres limites.
  • Pour lui, l’autorité paternelle doit rester sacrée et respectée, mais bornée par le droit afin d’éviter l’abus.
  • La punition extrême des enfants doit relever du magistrat, non de la main du père seul.

En résumé, Bodin adopte une position intermédiaire :

  • Pas de remise en cause de l’autorité paternelle (qui reste un pilier de la République).
  • Mais pas non plus de retour au jus vitae necisque romain : ce serait trop inhumain et contraire au droit naturel réformé par le christianisme.

4. Références principales mobilisées ici

  • Droit romain : lois des Douze Tables, Lex Pompeia de parricidiis.
  • Exemples historiques : Brutus, Torquatus, etc.
  • Bible : réaffirmation de l’obligation filiale et de la gravité du parricide.
  • Droit canonique et coutumes contemporaines : limitation du pouvoir paternel, obligation de passer par la justice.

5. La signification dans son système

Comme pour la puissance maritale (chap. III) :

  • Bodin cherche un équilibre entre la reconnaissance d’une autorité naturelle (fondement de l’ordre domestique et politique) et la critique de l’arbitraire.
  • Sa pensée s’inscrit dans une vision organiciste de la République : chaque famille est une cellule, et si l’autorité paternelle se dérègle (trop faible ou trop tyrannique), c’est tout le corps social qui se corrompt.

En résumé final (chapitre IV) : Bodin montre que la puissance paternelle est la plus sacrée des autorités privées, car elle est d’origine naturelle et divine. Les enfants doivent obéissance, respect et service au père. Les crimes contre les parents sont les plus atroces de tous. Mais Bodin refuse l’excès romain du droit de vie et de mort : la puissance paternelle doit être forte, mais régulée par la justice publique. C’est ainsi qu’elle peut servir la République sans la mettre en péril.

Chapitre 5 : De la puissance seigneuriale, et s’il faut souffrir les esclaves en la République bien ordonnée

Voici une lecture guidée—courte mais dense—du Livre I, chapitre V des Six livres de la République de Jean Bodin (“De la puissance seigneuriale, et s’il faut souffrir les esclaves en la République bien ordonnée”), avec les références historiques et culturelles que Bodin convoque, et de quoi tout vérifier.

1) Ce que Bodin fait dans ce chapitre (en une idée)

Bodin interroge deux questions :

  1. L’esclavage est-il “naturel” et utile ?
  2. Jusqu’où va la puissance du maître sur l’esclave ?

Il passe en revue les arguments “pour” (Aristote, l’universalité historique, le droit de guerre) puis les réfute : au bilan, pour une république bien ordonnée, l’esclavage est pernicieux, socialement dangereux (révoltes, cruautés), et doit être écarté ; mieux vaut organiser le travail des pauvres (écoles de métiers) et n’affranchir qu’avec un métier en main, s’inspirant du droit hébraïque (service de 7 ans) plutôt que de (ré)introduire la servitude. Tout cela, Bodin l’écrit au cœur du XVIe siècle, dans un livre qui fonde sa théorie de la souveraineté—mais ici il parle du “ménage” (oikonomia) comme fondement de la cité. (Gallica)

2) Le fil de l’argument

a) D’où viennent les esclaves ? Bodin énumère les sources “classiques” de la servitude : naissance (esclave née d’esclave), droit de guerre, peine (crime), dette, jeu (il rappelle que des Germains pouvaient “jouer leur liberté”), vœu volontaire (Hébreux). Pour la rançon, il cite des usages grecs/polono-lituaniens ; pour la dette, il résume la dureté des XII Tables puis l’abolition du nexum par la lex Poetelia Papiria (IVe s. av. n. è.). (Wikisource)

b) Deux thèses opposées sur la “nature” de l’esclavageAristote soutient une servitude “par nature” : certains sont naturellement faits pour obéir, d’autres pour commander (Politique I, 1254a-1255a). • Les juristes romains, au contraire, traitent la servitude comme contra naturam et forcent l’interprétation des textes pour favoriser l’affranchissement. Bodin pèse ces positions, rappelle l’universalité historique de l’esclavage, puis renverse : la longévité d’un usage n’en fait pas une loi de nature ; souvent “les sages sont asservis aux fous”—preuve que la servitude, telle qu’elle existe, contredit l’ordre naturel.

c) Pourquoi, politiquement, l’esclavage est dangereux Bodin aligne les inconvénients : révoltes serviles (ex. Spartacus), criminalité, cruautés qui corrompent maîtres et cités. Il condense un verdict d’économie politique : l’esclavage déstabilise la république, affaiblit les mœurs et accroît l’insécurité. (BibleGateway)

d) Que faire à la place ? Plutôt que d’introduire/ramener des esclaves, Bodin propose des “pépinières d’artisans” (maisons publiques où l’on forme les pauvres aux métiers), cite Paris, Lyon, Venise en exemples, retarde l’affranchissement jusqu’à ce qu’un métier soit acquis, et salue la règle biblique des 7 ans (servitude temporaire et consentement éclairé pour un service perpétuel). Il déconseille l’affranchissement massif immédiat (ex. son anecdote du Pérou) s’il laisse les personnes sans moyens. (Gallica)

3) Les références culturelles (avec repères pour vérifier)

• “Famille”, “famulus”, “familia” Bodin joue sur l’étymologie : familia vient, dans l’usage romain, du corps domestique, incluant les esclaves (famuli). C’est un fait de droit romain : familia peut désigner le patrimoine/la maison et les esclaves du paterfamilias (cf. Smith, Dictionary of Greek and Roman Antiquities). (Pénélope)

• “Servus à servando” Bodin mentionne le vieux jeu étymologique “servus (esclave) ← servando/servare (‘garder’, ‘sauver’)”. Les linguistes modernes confirment une parenté réelle entre servus et servare (post-verbal latin), mais rejettent le “sens moral” naïf qu’on en tirait : servus n’est pas “celui qu’on a sauvé” mais un dérivé de la racine “garder/tenir” (voir de Vaan 2008 ; Pârvulescu 2010). (ia601501.us.archive.org)

• Sénèque, Lettre 47 : “Ils sont des esclaves.” — “Non : des hommes.” Bodin s’appuie (implicitement) sur un topos stoïcien de modération du maître. Dans la Lettre 47, Sénèque tance la cruauté ordinaire envers les esclaves et rappelle la communauté d’humanité ; il cite le proverbe “autant d’ennemis que d’esclaves” (totidem hostes esse quot servos). (Wikisource)

• Aristote, Politique I : la “servitude naturelle” Source directe du désaccord que Bodin discute (I, 1254a-1255a).

• Germanie de Tacite : “jouer sa liberté” Bodin rappelle que des Germains pouvaient gager jusqu’à leur propre liberté au jeu (cf. Germania ch. 24). (Wikipédia)

• Droit romain :XII Tables (Table III) : extrême sévérité pour les débiteurs (partes secanto), adoucie ensuite par la lex Poetelia Papiria (abolition du nexum, IVe s.). — Affranchissement & rançon : Bodin cite des usages grecs (racheter le captif) et empire romain (statuts du prisonnier vs. esclave). Le détail procédural varie selon époques/lieux. La trame est exacte : le prisonnier de bonne guerre pouvait être réduit en esclavage en droit gréco-romain. (Wikisource)

• Droit hébraïque (Bodin l’invoque souvent)Exode 21:26-27 : si le maître mutilait l’esclave (œil/dent), obligation d’affranchir. — Deutéronome 15:12-18 : libération de l’esclave hébreu au 7e an ; la servitude perpétuelle n’est possible que si la personne consent explicitement après ce terme. (impresaoggi.com)

🔎 Rectification historique utile : Bodin affirme que l’empereur Constantin aurait “fait passer en loi générale” la règle biblique d’affranchir en cas de mutilation. Ce qui est sûr historiquement, c’est que Constantin a légalisé la manumissio in ecclesia (affranchir un esclave à l’église, en présence d’un évêque), pas qu’il ait transposé l’Exode 21 tel quel en droit impérial. (Brill Reference Works)

• Révoltes serviles : Spartacus Bodin invoque Spartacus (73-71 av. n. è.) comme contre-exemple majeur d’ordre public (les sources antiques situent l’effectif des révoltés vers ~60–70 000). (BibleGateway)

4) Le “sens” du chapitre : ce que Bodin soutient vraiment

  • Contre Aristote : même si l’histoire regorge d’esclavage, la nature ne veut pas que les sages servent les sots ; l’“universalité” d’un abus ne le rend pas naturel.
  • Contre l’argument de “charité du vainqueur” (garder le prisonnier au lieu de le tuer) : c’est la “charité des voleurs” ; mieux vaut droit et justice que servitude perpétuelle. (Vous verrez cette rhétorique dans le texte même de Bodin.) (Gallica)
  • Pour la prudence politique : l’esclavage multiplie les périls (révoltes, crimes, cruautés) ; l’État doit prévenir la misère (maisons de métiers), organiser le travail et n’affranchir qu’avec capacité de vivre en liberté. (Gallica)

Beaucoup d’historiens lisent ce chapitre comme une critique précoce de l’esclavage au nom de l’ordre public et de l’anthropologie morale (pas encore un “abolitionnisme” moderne, mais une position résolument anti-servile pour une république bien ordonnée). (iep.utm.edu)

5) Petit glossaire (avec sources)

  • “Souffrir les esclaves” = tolérer juridiquement leur présence. (Contexte Bodin, chap. V.) (Wikisource)
  • “Famille” (familia) = à Rome, maison/biens + personnes sous l’autorité du paterfamilias, notamment les esclaves (famuli). (Pénélope)
  • “Servus” (esclave) et servare (garder/sauver) : étymologie liée (latine), mais sans la morale “sauvé ⇒ esclave” ; cf. de Vaan ; Pârvulescu. (ia601501.us.archive.org)
  • Aristote, servitude naturelle : Politique I, 1254a-1255a.
  • Sénèque, Lettre 47 (Sur le maître et l’esclave). (Wikisource)
  • Tacite, Germania 24 (jeu et liberté). (Wikipédia)
  • XII Tables / lex Poetelia (dette & servitude).
  • Droit hébraïque : Ex 21:26-27 ; Dt 15:12-18. (impresaoggi.com)
  • Constantin & manumission à l’église : 316 (manumissio in ecclesia). (Brill Reference Works)
  • Spartacus : Troisième guerre servile (73-71 av. n. è.). (BibleGateway)

Chapitre 6 : Du citoyen, et la différence d’entre le sujet, le citoyen, l’étranger, la ville, cité, et République.

Ce que Bodin fait dans ce chapitre

  • Définir le “citoyen” : pour lui, c’est le franc sujet d’une souveraineté — quelqu’un qui a renoncé à une part de sa liberté “naturelle” pour vivre sous des lois communes. Il le distingue du simple sujet (catégorie plus large), du bourgeois (titre urbain particulier), et de l’étranger (qui n’a pas les droits de la cité). Bodin fonde ce vocabulaire sur le droit romain : civitas = la communauté juridique des citoyens, distincte de urbs (la ville comme lieu/bâti). Il illustre la différence “cité ≠ ville” par César : la civitas des Helvètes comptait plusieurs pagi (cantons) ; une “cité” peut donc rassembler plusieurs villes, comme une famille peut compter plusieurs maisons. (penelope.uchicago.edu)

  • Raconter l’origine des Républiques : contre l’idée “idyllique” (chez Hérodote, reprise par Démosthène, Aristote, Cicéron) d’un premier roi choisi pour sa vertu, Bodin soutient que la violence a présidé aux fondations. Il s’appuie sur Thucydide (les premiers Grecs honorent la piraterie), sur Plutarque, et sur la Bible avec Nimrod, présenté par des commentateurs comme un “chasseur puissant” devenu tyran. (History Walks in Venice)

  • Comparer des statuts : Sujet vs citoyen vs bourgeois vs étranger — Les étrangers ne sont pas (par défaut) intégrés aux droits du corps civique ; les bourgeoisies urbaines donnent des privilèges locaux, mais ne se confondent pas avec la citoyenneté au sens politique. Bodin illustre par Paris (prévôté des marchands réservée aux citoyens nés à Paris), par Genève (où “citoyens” et “bourgeois” coexistent avec des droits politiques inégaux), et par Venise (triade nobili / cittadini / popolani). (Wikisource)

  • Discuter la définition d’Aristote du citoyen (“celui qui a part à la délibération et au jugement”). Bodin objecte : cette formule ne vaut pas dans tous les régimes ni même, toujours, dans les démocraties antiques (il vise les thêtes à Athènes). Chez Aristote, la définition est bien III, 1275a-b ; et la Constitution d’Athènes décrit les classes soloniennes (les thêtes n’accèdent pas aux magistratures, même s’ils siègent à l’assemblée et aux jurys selon les périodes). (topostext.org)

  • Noter la diversité interne des citoyens : en Europe, Bodin retrouve presque partout trois “états” (clergé, noblesse, peuple) et, ailleurs, des découpages comparables (Égypte antique : prêtres / soldats / artisans chez Diodore). Moralité : même dans les régimes populaires, les citoyens ne sont pas égaux en tout. (Remacle)

Les références culturelles qu’il glisse (et comment les lire)

  • Cité (civitas) vs ville (urbs) Le droit et la langue latine distinguent civitas (le corps politique des cives : communauté de droit) et urbs (la ville bâtie). Varron donne l’étymologie traditionnelle d’urbs “à partir du sillon de charrue” tracé lors de la fondation (le sulcus primigenius), ce que Bodin résume en français par “ab urbo, id est aratro”. Cette différence sert sa thèse : la République (ensemble de cités) n’a pas besoin d’unicité urbaine. (Remacle)

  • “Hostes / hospites / hôtes” Bodin rappelle qu’“anciennement les Grecs appelaient les étrangers ‘ennemis’ ” et que, en latin, hostis a d’abord signifié étranger (non-citoyen), avant de prendre le sens d’ennemi. Cicéron le signale en se référant aux Douze Tables. Ce détour lexical lui sert à affiner étranger ≠ ennemi en droit. (brewminate.com)

  • Thucydide & la “source violente” Thucydide, I, 5, décrit un monde ancien où la piraterie est honorable ; les hommes vivent dispersés, sans lois stables. Bodin s’en sert pour dire : la force et la rapine ont d’abord fait naître domination et servitude, puis les premières cités. (History Walks in Venice)

  • Nimrod, archétype du fondateur-prédateur Dans Genèse 10, “chasseur puissant devant Yahvé” ; des lexiques et commentaires médiévaux/modernes lisent gibbōr (puissant) et ṣayyīd (chasse) comme tyrannie/oppression. Bodin s’aligne sur cette lecture pour opposer la version “roi-juste” (Hérodote, Cicéron) à une généalogie prédatrice du politique. (Moments of Hope Church)

  • César et la “cité” multi-pagi Quand César note : “nam omnis civitas Helvetia in quattuor pagos divisa est”, on voit bien que civitas ≠ une seule ville. Bodin s’en sert contre Aristote et contre un usage trop “géographique” du mot cité. (quia.com)

  • Venise, Genève, Paris : typologies civiques Venise distingue nobles, cittadini et popolani (plus tard, on admettra de “nouvelles noblesses”, parfois contre finance) ; Genève oppose citoyens et bourgeois aux habitants/natifs sans droits politiques ; Paris réserve des offices à des citoyens nés. Bodin mobilise ces cas pour montrer la plasticité des statuts. (History Walks in Venice)

  • Hippodamos & Platon Bodin défend Hippodamos de Milet — que critique Aristote (Pol. II, 8) — et note que même Platon (malgré l’égalitarisme de principe) finit par diviser les citoyens en trois ordres dans la République. L’idée : toute cité hiérarchise ses composantes. (Cairn.info)

Ce que Bodin conteste (ou ajuste)

  1. La définition aristotélicienne du citoyen est trop étroite. Aristote (Pol. III, 1275b) : est citoyen celui qui participe à la délibération et au jugement. Bodin réplique : cette définition ne vaut que pour un régime populaire ; ailleurs, nombre de citoyens n’exercent ni offices, ni voix délibérative (et même à Athènes, la quatrième classe — les thêtes — est longtemps tenue à l’écart des magistratures). Les sources antiques (Aristote, Constitution d’Athènes) confirment que les droits variaient selon la classe et l’époque. (topostext.org)

  2. “Cité” ≠ “ville”. Le droit romain et les auteurs latins distinguent civitas (corps des citoyens, communauté de droit) de urbs (ville bâtie). Varron (étymologie de urbs) et César (Helvètes en “quatre pagi”) étayent Bodin : on peut avoir une seule cité avec plusieurs villes et coutumes. (Remacle)

  3. Le couple “citoyen / bourgeois” est contingent. Bodin illustre avec des règles locales très concrètes (Paris, Genève, Venise) pour montrer que les privilèges et inégalités sont structurels aux Républiques, même quand l’idéologie proclame l’égalité. (Wikisource)

Repères de vocabulaire (chez Bodin)

  • Sujet : toute personne soumise à une souveraineté.
  • Citoyen : le franc sujet qui appartient au corps civique et reçoit, en retour, tuition/justice/défense du prince ou de la seigneurie. (Bodin joue ici sur la réciprocité de la sujétion et de la protection.)
  • Bourgeois : statut urbain local (droits de bourgeoisie, franchises, offices), distinct du citoyen au sens politique large.
  • Étranger : non membre du corps civique (cf. la vieille acception de hostis). (brewminate.com)

À garder en tête (pour “Équité & Prédation”)

  • Bodin relit l’histoire politique comme une sortie de la violence (piraterie, conquête, prédation) vers l’ordre civil : la cité naît moins d’un pacte idéal que d’une domination stabilisée puis juridicisée (civitas). D’où sa sensibilité à la stratification (ordres, privilèges), aux frontières entre membres et non-membres (citoyen, bourgeois, étranger), et au langage du droit qui fixe ces frontières. (History Walks in Venice)

Sources (texte de Bodin)
  • Jean Bodin, Les Six livres de la République, Livre I, chap. VI (“Du citoyen…”), éd. en ligne. (Wikisource)
Sources (auteurs et notions cités par Bodin)
  • Aristote, Politique (définition du citoyen, critique d’Hippodamos). (topostext.org)
  • Aristote, Constitution d’Athènes (classes soloniennes, droits politiques). (classics.mit.edu)
  • Jules César, De bello Gallico I.12 (“toute la civitas helvète divisée en quatre pagi”). (quia.com)
  • Varron, De lingua latina V (étymologie d’urbs). (Remacle)
  • Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.5 (piraterie tenue pour honorable). (History Walks in Venice)
  • Cicéron, De officiis I (sur hostis = étranger aux Douze Tables). (brewminate.com)
  • Civitas en droit romain (distinguer civitas/urbs). (penelope.uchicago.edu)
  • Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I (trois ordres en Égypte). (Remacle)
Exemples historiques utilisés par Bodin (vérification)
  • Paris : le prévôt des marchands devait être né à Paris (condition attachée au citoyen de Paris). (Wikisource)
  • Genève (Ancien Régime) : seuls citoyens et bourgeois masculins (25 ans) votent/élisent les syndics ; les habitants/natifs n’ont pas ces droits. (salons-dufour.ch)
  • Venise : hiérarchie nobili / cittadini / popolani (accès différencié aux charges). (History Walks in Venice)

Besoin qu’on aille point par point sur une sous-question (p. ex. “citoyen vs bourgeois” à Paris/Genève) avec extraits des textes ? Dis-moi la focale et je te fais un zoom, sources primaires à l’appui.

Chapitre 7 : De ceux qui sont en protection : et de la différence entres les alliés, étrangers, et sujets.

Contexte historique

L’œuvre de Bodin s’inscrit dans le contexte des guerres de religion qui déchirent la France au XVIe siècle. Face à l’instabilité politique et aux conflits confessionnels, Bodin propose une théorie de l’État capable de garantir l’ordre et la paix civile. Son analyse s’appuie sur une méthode comparative rigoureuse, examinant les différentes formes de gouvernement à travers l’histoire.

Le contexte historique français dans lequel Jean Bodin (1530-1596) écrit Les Six Livres de la République (publiés en 1576, chez Jacques du Puys à Paris) est déterminant pour comprendre son œuvre.

1. La France des guerres de Religion

  • Conflit majeur : La France est alors ravagée par les guerres de Religion (1562-1598), opposant catholiques et protestants (huguenots).
  • Crises successives : Depuis 1562 (massacre de Wassy) jusqu’à l’édit de Nantes (1598), le pays connaît huit guerres civiles ponctuées de massacres et de trêves précaires.
  • Épisode marquant : Le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572) reste dans toutes les mémoires au moment où Bodin écrit : l’effondrement de l’ordre politique et moral est visible.
  • Concrètement, la France est menacée de désagrégation, tiraillée entre les partis (ligue catholique, protestants, modérés, monarchistes).

2. Un royaume fragilisé

  • Le roi Charles IX meurt en 1574, remplacé par Henri III (dernier Valois).
  • La monarchie paraît faible : incapable de garantir la paix et d’imposer son autorité.
  • Les États généraux de Blois (1576) — auxquels Bodin participe comme député du tiers état de Vermandois — montrent la crise de légitimité : les ordres négocient, contestent, parfois résistent à la couronne.
  • L’ombre de la succession dynastique plane : la maison de Valois est sans héritier mâle direct, et la montée d’Henri de Navarre (futur Henri IV) inquiète.

3. Les débats intellectuels et politiques

  • La situation nourrit une réflexion intense sur le pouvoir politique, la souveraineté et l’ordre social.

  • Plusieurs courants s’affrontent :

    • Les monarchomaques (protestants radicaux, puis ligueurs catholiques) qui justifient la résistance et même le tyrannicide.
    • Les humanistes juristes (comme Bodin), qui cherchent à stabiliser l’État par le droit et la raison.
    • Les théologiens qui débattent de l’autorité, du rôle de la religion et de la légitimité du prince.
  • Bodin, influencé par le droit romain et la philosophie antique, va chercher à définir un fondement stable et rationnel du pouvoir.

4. La réponse de Bodin

  • Dans ce contexte de fragmentation, Bodin propose une théorie :
    • La souveraineté est absolue, perpétuelle et indivisible. Elle appartient au roi, qui doit incarner l’unité de la République.
    • La monarchie est la forme de gouvernement la plus stable.
    • Il refuse la division du pouvoir entre le roi et les assemblées (contrairement aux monarchies mixtes anglaises).
    • Toutefois, le roi est limité par la loi naturelle, divine et fondamentale du royaume (il ne peut par ex. modifier les lois successorales de la Couronne).

Son œuvre vise donc à consolider l’autorité monarchique dans un temps où l’État menace de se dissoudre sous la guerre civile.

5. Héritage

  • Les Six Livres de la République (1576) apparaissent comme un traité fondateur de la pensée moderne de l’État.
  • Ils marquent un tournant : l’idée de souveraineté, formulée par Bodin, influencera aussi bien l’absolutisme monarchique français (Louis XIII, Louis XIV) que la théorie politique moderne (Hobbes, Grotius).

Sources pour vérification

  • Jean Bodin, Les Six livres de la République, éd. Richard Knolles (1606), rééd. Fayard (1986).
  • Quentin Skinner, Les fondements de la pensée politique moderne, Cambridge UP, 1978, trad. Albin Michel, 2001.
  • Arlette Jouanna, Le devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne (1559-1661), Fayard, 1989.
  • Denis Crouzet, La Nuit de la Saint-Barthélemy, Fayard, 1994.
  • J. H. Franklin, Jean Bodin and the Rise of Absolutist Theory, Cambridge UP, 1973.

Architecture des Six Livres

Premier Livre : De la République en général

“La République est un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine.”

Bodin y définit les concepts fondamentaux : république, souveraineté, citoyen. Il établit la distinction entre les différentes formes de gouvernement (monarchie, aristocratie, démocratie) et pose les bases de sa théorie de la souveraineté.

Deuxième Livre : Des trois espèces de République

Analyse comparative des trois formes de gouvernement. Bodin examine les avantages et inconvénients de chaque système, tout en montrant que la monarchie royale constitue la forme la plus stable et efficace.

Troisième Livre : Des Sénats, Magistrats et Collèges

Organisation des institutions politiques et administratives. Bodin détaille le rôle des différents corps intermédiaires dans l’exercice du pouvoir et la gestion des affaires publiques.

Quatrième Livre : Des changements de République

Examen des causes et mécanismes de transformation des régimes politiques. Bodin analyse les facteurs qui peuvent conduire à la dégénérescence ou à l’amélioration des formes de gouvernement.

Cinquième Livre : Des moyens d’empêcher les changements de République

Stratégies de préservation de l’ordre politique. Bodin propose des mesures institutionnelles et politiques pour maintenir la stabilité de l’État et prévenir les révolutions.

Sixième Livre : Des Finances

Gestion des ressources publiques et de l’économie politique. Bodin développe une théorie des finances publiques et examine les relations entre pouvoir politique et prospérité économique.

Concepts clés

La Souveraineté

“La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République.”

Bodin révolutionne la pensée politique en définissant la souveraineté comme :

  • Absolue : le souverain n’est soumis à aucune autorité supérieure
  • Perpétuelle : elle ne peut être limitée dans le temps
  • Indivisible : elle ne peut être partagée
  • Inaliénable : elle ne peut être transférée

L’Équité et la Justice

Bodin distingue l’équité de la justice stricte :

“L’équité est une vertu qui modère la rigueur de la loi selon les circonstances particulières.”

Cette conception de l’équité influence profondément la pensée politique moderne, notamment chez Thomas Hobbes et John Locke.

Les Lois fondamentales

Le souverain, bien qu’absolu, reste soumis aux :

  • Lois divines et naturelles
  • Lois fondamentales du royaume
  • Droits de propriété des sujets

Influence et postérité

Impact immédiat

  • Fondation de la science politique moderne
  • Influence sur les théoriciens du droit naturel
  • Contribution à la théorie de l’État moderne

Influence sur Hobbes

“Dans les six livres de la république (1576) Bodin pose que le roi est souverain en son royaume, ce qui signifie qu’il est doté de la ‘puissance absolue et perpétuelle’, clé de voûte de toute république bien ordonnée.” (Hobbes, Leviathan, Flammarion 2017, extrait de la préface par Philippe Crignon)

Influence sur Locke

La distinction bodinienne entre souveraineté absolue et respect des droits naturels préfigure la théorie lockienne du gouvernement limité et du droit de résistance.

Notes diverses

Méthode comparative

Bodin inaugure une approche comparative rigoureuse en politique, examinant les institutions de différentes civilisations. Cette méthode influencera Montesquieu et les penseurs des Lumières.

Théorie de la monnaie

Bodin développe également une théorie quantitative de la monnaie, anticipant les analyses économiques modernes sur l’inflation et la valeur monétaire.

Actualité de la pensée bodinienne

La distinction entre souveraineté absolue et respect des droits fondamentaux reste d’une actualité brûlante dans les débats contemporains sur l’État de droit et les limites du pouvoir politique.

Références et sources

  • Bodin, Jean. Les Six Livres de la République. 1576.
  • Hobbes, Thomas. Léviathan. 1651. (Préface de Philippe Crignon, Flammarion 2017)
  • Locke, John. Traité du gouvernement civil. 1690.
  • Grotius, Hugo. Du droit de la guerre et de la paix. 1625.

L’œuvre de Bodin constitue ainsi un jalon essentiel dans l’évolution de la pensée politique, établissant les fondements conceptuels qui permettront aux générations suivantes de théoriser l’État moderne et les relations entre pouvoir et liberté.

Liens vers le document

Sources

Références

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