Conférence sur la loi d'aide mutuelle de Karl Kessler

En janvier 1880, lors d’une assemblée de la Société impériale des naturalistes de Saint-Pétersbourg, le zoologiste Karl Fedorovich Kessler prononce une conférence qui restera sa contribution la plus marquante à la réflexion évolutionniste du XIXᵉ siècle : « Sur la loi d’aide mutuelle ».

1. Contexte scientifique et intellectuel

À la fin du XIXᵉ siècle, la réception de Darwin en Europe et en Russie a suscité de vifs débats. Si la « lutte pour l’existence » était souvent considérée comme la loi fondamentale de l’évolution, de nombreux chercheurs russes cherchaient à nuancer cette lecture. L’idée d’une compétition universelle, reprise par le « darwinisme social », servait parfois à justifier les inégalités sociales et économiques. C’est dans ce climat que Kessler propose une autre perspective .

2. Les idées principales

Kessler introduit la notion d’une seconde loi naturelle : l’aide mutuelle.

• Il reconnaît la réalité de la lutte pour l’existence, mais refuse d’y voir le seul moteur de l’évolution.
• Selon lui, de nombreuses espèces démontrent des comportements coopératifs : soin parental, entraide dans la défense, organisation collective des sociétés animales (oiseaux, mammifères, insectes sociaux).
• Ces pratiques ne sont pas anecdotiques : elles constituent un facteur majeur de survie. Les espèces qui s’entraident élèvent plus efficacement leurs petits, protègent mieux leurs membres et développent des comportements plus stables et plus complexes .

Dans sa conclusion, Kessler affirme que :

« Le développement progressif du règne animal, et surtout de l’humanité, est favorisé bien plus par l’entraide que par la lutte mutuelle » .

3. Portée et limites

La conférence, probablement rédigée et prononcée en russe, n’a pas eu de large diffusion hors de Russie. Sa publication fut restreinte, et la mort de Kessler en 1881 a empêché l’élaboration plus complète de cette théorie .

Néanmoins, l’intervention de 1880 a marqué un tournant : elle fut l’une des premières formulations scientifiques affirmant que la coopération et la solidarité sont des lois de la nature, et pas seulement des comportements sociaux contingents.

4. Postérité

Quelques années plus tard, Pierre Kropotkine reprend explicitement l’idée de Kessler et l’élargit. Dans une série d’articles des années 1890, puis dans son livre Mutual Aid: A Factor of Evolution (1902), il cite Kessler comme une source d’inspiration et donne une ampleur scientifique et politique à la notion d’entraide. Kropotkine fit ainsi connaître au monde occidental l’idée ébauchée par Kessler, lui donnant une place durable dans la pensée évolutionniste et sociale .

Références

• Karl Kessler – notice biographique : Wikipedia.
• V. Ya. Levanidov, « Karl Fedorovich Kessler (1815–1881) », Journal of Ichthyology, vol. 57, no 2, 2017, p. 298-303, DOI : 10.1134/S0032945217020187.
• Pierre Kropotkine, L’Entraide, un facteur de l’évolution, trad. française, chap. I, Wikisource.
• Dominique Guillo, « La réciprocité dans l’évolution : Kropotkine et la loi de l’entraide », in Évolution et coopération, ENS Éditions, 2012, OpenEdition Books.
• « L’entraide, un facteur de l’évolution », Écologie sociale et communalisme, 26 février 2025, ecologiesocialeetcommunalisme.org.
• Nicolas Eyguesier, « Pierre Kropotkine et l’évolution », Cliothemis (2015), journals.openedition.org.