Thomas Hobbes
Thomas Hobbes (1588-1679), philosophe anglais des guerres civiles, fonde dans Leviathan (1651) une théorie politique rationnelle. Partant de l’« état de nature », où règne la peur et la « guerre de tous contre tous », il affirme que les hommes concluent un contrat social transférant leur puissance à un souverain absolu garant de la paix et de la sécurité. La liberté est l’absence d’entraves dans le cadre de la loi, non l’absence de pouvoir. Influencé par Thucydide, Machiavel, Bacon, Galilée, Descartes, il rompt avec la tradition théologique et s’appuie sur la méthode géométrique. Ses idées suscitent les critiques des républicains (Harrington), des théologiens (Bramhall) et plus tard de Locke et Pufendorf, qui rejettent son absolutisme. Précurseur du contractualisme moderne, Hobbes ouvre les débats qui structureront la philosophie politique moderne, entre sécurité et liberté.
Thomas Hobbes naît en Angleterre à la fin du XVIᵉ siècle, dans un pays traversé par de profondes secousses politiques et religieuses. Les guerres civiles anglaises (1642-1651), l’exécution du roi Charles Iᵉʳ, la République de Cromwell et la Restauration marquent profondément sa pensée. Témoin direct de l’instabilité politique, Hobbes cherche à fonder un ordre social stable et durable. Ses séjours en France l’amènent à fréquenter le cercle de Mersenne et à échanger avec Descartes, tandis que ses voyages en Italie lui font rencontrer Galilée, dont la méthode scientifique l’influence. Hobbes est aussi traducteur de Thucydide, dont il admire le réalisme politique.
Idées
Au cœur de sa pensée se trouve l’« état de nature », une condition hypothétique où les hommes, égaux en force et en ruse, vivent dans la méfiance et la peur de la mort violente. Sans autorité commune, il en résulte une « guerre de tous contre tous » (bellum omnium contra omnes), où la vie est « solitaire, pauvre, désagréable, animale et brève ». Pour sortir de ce chaos, les individus concluent un contrat social par lequel ils transfèrent leurs droits à une autorité souveraine, le Léviathan, qui détient le pouvoir absolu de garantir la paix et la sécurité. Pour Hobbes, la liberté n’est pas l’absence de loi, mais la possibilité d’agir sans entraves dans le cadre qu’assure l’État.
Arguments
Hobbes fonde son raisonnement sur une méthode rationaliste inspirée de la géométrie et de la mécanique. L’homme, mû par le désir de conserver sa vie, obéit à des « lois de nature » que la raison découvre : rechercher la paix, conclure des accords, respecter les pactes. Mais ces lois ne prennent force obligatoire qu’avec l’instauration d’un pouvoir souverain capable de les faire respecter. Ce pouvoir doit être indivisible et absolu, car toute division entraînerait le retour au conflit. Dans Leviathan (1651), Hobbes développe également l’idée que la religion doit être subordonnée à l’État afin d’éviter les guerres civiles nourries par les disputes théologiques.
Opposants
Les thèses de Hobbes rencontrent une opposition vive. Les républicains anglais, comme James Harrington (Oceana, 1656), défendent une souveraineté partagée et des institutions équilibrées. Les penseurs religieux, tel l’évêque John Bramhall, s’opposent à son déterminisme mécaniste et à sa négation du libre arbitre. Plus tard, John Locke conteste son absolutisme en affirmant l’existence de droits naturels inaliénables (vie, liberté, propriété) que le pouvoir politique ne peut abolir. Sur le continent, Samuel Pufendorf critique également sa vision trop belliqueuse de l’état de nature et insiste davantage sur la sociabilité humaine.
Influences
Hobbes puise son inspiration dans plusieurs traditions. Chez les anciens, Thucydide lui apporte une vision réaliste des passions humaines et de la peur comme moteur politique. Machiavel lui montre l’importance du pouvoir et des rapports de force. Chez ses contemporains, Bacon lui transmet l’idéal d’un savoir utile, Galilée la méthode mathématique et mécanique, Descartes le goût du raisonnement systématique. Enfin, des juristes comme Jean Bodin et Hugo Grotius fournissent l’arrière-plan des débats sur la souveraineté et le droit naturel, que Hobbes reprend à sa manière en posant l’autorité indivisible du souverain.
Postérité
Avec Hobbes, la philosophie politique moderne prend une forme nouvelle : l’État devient une construction artificielle fondée sur le calcul des individus et la peur de la mort violente. Il rompt avec les conceptions médiévales fondées sur la théologie et prépare les débats ultérieurs sur le contrat social, que Locke et Rousseau transformeront. Son matérialisme, son rationalisme et sa défense d’un pouvoir fort nourriront à la fois la pensée absolutiste et ses critiques.
Sources :
- Thomas Hobbes, Leviathan (1651), trad. Gérard Mairet, Dalloz, 1999.
- Thomas Hobbes, De cive (1642), trad. Philippe Crignon, GF, 2010.
- Quentin Skinner, Reason and Rhetoric in the Philosophy of Hobbes, Cambridge University Press, 1996.
- Richard Tuck, Hobbes: A Very Short Introduction, Oxford University Press, 2002.
- Luc Foisneau, Hobbes et la toute-puissance de l’État, PUF, 2000.